Nivine

NIVINE, 24 ans, Elle

Nivine ressemble à Tokyo de la télésérie espagnole La Casa de Papel, tatouage et piercings en prime. Belle et toute menue, elle a trouvé sa force dans les coups et les menaces que sa vie de lesbienne dans une Syrie en guerre lui a apportés dès son premier amour, à 18 ans. Pour la jeunesse d’aujourd’hui, le gardien des secrets n’est malheureusement pas un personnage hermétique de Harry Potter. Le catalyseur des drames de Nivine et de sa première amoureuse a été le téléphone portable. Une rumeur circulait dans le quartier sur les amours singulières de Nivine avec une voisine du même âge. Pour en avoir le cœur net, la mère de Nivine s’est emparée de la carte mémoire du téléphone de sa fille lorsqu’il a fallu le faire réparer. Les photos et les messages textes ont tout dévoilé. Bienveillante, la mère avait plus de peine que de colère pour sa fille. Ce n’était pas le cas pour le reste de la famille.

Quant à la copine de Nivine, son frère l’observait. Il l’a vue en train d’envoyer des textos sur son téléphone portable. Il a confisqué l’appareil, lu les messages, séquestré sa sœur et appelé Nivine pour la menacer de porter plainte à la police. L’homosexualité en Syrie est passible de cinq ans de prison, en plus d’une amende. La vie de Nivine a chaviré à ce moment-là.

La guerre qui sévissait dans la rue syrienne depuis sept ans venait d’entrer dans son foyer. Le père colérique, machiste, violent et homophobe a commencé à semer la terreur à la maison.

Le Liban, 2018

En novembre 2018, encouragée par sa mère, Nivine arrive au Liban, pays limitrophe, accessible sans visa et avec peu de moyens.

La mère paie cher son amour pour sa fille unique : violence, menaces, insultes, humiliations, divorce et maladie suivent le départ de son enfant. Une fois au Liban, Nivine se dirige aussitôt vers les bureaux du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) afin de demander de l’aide et un accès à la sécurité. Elle avait reçu des menaces de sa famille et du frère de son amie, disant qu’ils allaient la retrouver même au Liban. Les premières rencontres avec deux agentes du HCR sont décevantes, polluées par une ironie malsaine et désobligeante. Une agente dit à Nivine de retourner en Syrie si elle n’est pas satisfaite des services offerts par le Haut Commissariat. L’autre lui mentionne qu’elle ne peut pas mettre un avion à sa disposition afin qu’elle soit à l’abri le plus rapidement possible.

Et puis, les nouvelles de Syrie sont traumatisantes. Sa mère étant hospitalisée, il est impossible pour Nivine de communiquer avec elle. La jeune femme est sans nouvelles de sa maman. Elle ne peut pas retourner en Syrie, car elle risque d’y être arrêtée et mise en prison.

Le Liban, 2019

Avec l’aide de l’organisation MOSAIC, Nivine parvient à porter plainte contre les deux agentes du HCR, et son dossier finit par être accepté. Elle trouve un emploi comme serveuse dans un café. Elle se fait des ami-e-s parmi les employé-e-s et les client-e-s.

Le machiste gérant du café veut lui prouver qu’un « vrai » homme lui fera « changer d’avis » sur son homosexualité, comme si l’orientation sexuelle était un accessoire de mode. Il la convoque dans son bureau durant ses heures de travail pour lui proposer d’opérer avec elle un site porno en direct. Après avoir refusé l’offre, Nivine se voit dans l’obligation de quitter son emploi.

Le Liban, 2020

La révolte populaire bat son plein. La vie est chère, la livre libanaise perd de la valeur, le coronavirus fait fermer des établissements. Plus encore, le fait d’être un-e Syrien-ne au Liban exacerbe beaucoup de sensibilités, pour des raisons racistes et/ou politiques, ou encore un mélange des deux. Il devient de plus en plus difficile de décrocher un travail. Nivine trouve amitié et refuge auprès d’un groupe d’Éthiopiennes. Elles partagent le logement et le loyer.

Arrive alors le 4 août. L’appartement de Nivine se trouve un peu loin de l’endroit de l’explosion. Les dommages se limitent à la perte de toutes les vitres et à un état de choc dépressif qui dure plus d’un mois. Sans aucun revenu ni emploi, Nivine est contrainte de couvrir les fenêtres avec des sacs à ordures.

La bonne nouvelle de la fin 2020 : un appel de l’ambassade canadienne lui demande de passer un examen médical. Nivine est potentiellement admise comme réfugiée au Canada. Puis, un autre appel de l’ambassade lui annonce qu’en raison de la situation pandémique, le processus est mis en veille pour le moment.

Le Liban, 2021

Sept mois sans travail, en butte à l’homophobie et au racisme, Nivine vend son ordinateur portable et son téléphone pour contribuer au loyer : « Je ne peux pas quitter la maison où je vis maintenant. C’est le seul endroit où je me sens en sécurité, grâce aux personnes avec qui je vis. Souvent, je suis incapable de payer le loyer ou de manger. Ne demandant rien en retour, mes colocataires m’acceptent comme membre de la “famille”. Elles sont réfugiées elles aussi. J’ai trouvé de l’aide de la part de personnes qui en ont autant besoin que moi. Celles-ci souffrent quotidiennement de discrimination raciale et de conditions de travail infectes. »

Durant l’entrevue, Nivine nous a dit : « Je suis privée de ma mère, je suis privée d’éducation. Ce dont j’ai besoin pour le moment, c’est la sécurité, pouvoir communiquer avec ma mère, poursuivre mes études, avoir un toit sur la tête, travailler, être libre, et ce, comme toute personne qui a le droit de vivre. C’est tout, je ne veux rien d’autre. »

Puis, elle a ajouté : « Dans la société arabe, il nous est difficile de vivre, car on ne peut pas la changer. La seule solution pour avoir une vie digne est de partir. Partir vivre dans une nation qui nous protège, une société qui nous respecte, comme le Canada, la Hollande et l’Allemagne. Bref, un pays dans lequel on peut marcher dans la rue et dire qu’on est “comme ça” sans même devoir nous justifier. Juste exprimer qui l’on est, juste vivre. Si l’on peut obtenir cette sécurité ici ou dans n’importe quel pays arabe, personne ne voudra partir, je le sais. On a tous besoin de se sentir en sécurité, d’avoir un travail, de goûter à la liberté… Par-dessus tout, on a tous besoin d’être quelqu’un-e qui n’est pas rejeté-e par la société et qu’on ne juge pas sur sa façon de marcher, de s’habiller, de penser, d’aimer… »

L’objet réconfortant

Nous avons demandé aux participantes et participants d’apporter avec elles et eux, au choix et sans obligation, un objet ou un accessoire réconfortant qu’elles et qu’ils aimeraient avoir durant l’entrevue. Nivine a trimballé une peluche :

« Elle est venue avec moi de Syrie. Je lui raconte tout. C’est la seule “membre” de ma famille qui a pu me suivre. Elle me rappelle mon pays natal, ma maison… et, surtout, ma maman. »

Les besoins de Nivine

Six mois en frais de loyer, transports, nourriture, vêtements : 6 000 CAD
Ordinateur portable : 600 CAD
Téléphone portable : 700 CAD
Total : 7 300 CAD

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