Hamada/Amanda

Hamada/Amanda, 38 ans, Il/Elle

Hamada a maquillé les étoiles. Son compte Instagram de plus de 66 000 abonnés est peuplé de visages de stars du Moyen-Orient qu’il a colorés de ses célèbres makeups. Avec ses associés, qui sont comme sa famille adoptive, ils ont fondé une agence de design. Ensemble, Ils ont rénové une maison libanaise traditionnelle du XIX siècle, construite en 1845, dans le quartier branché de Gemmayzé, à deux pas du mythique port de Beyrouth.

Ils ont divisé l’espace en deux parties : une partie en appartement privé, avec une majestueuse façade en trois arches entièrement vitrées, qui laissent entrer une lumière douce à l’intérieur à travers des carreaux multicolores, l’autre partie en bureau, avec des murs en miroirs d’époque, épais, bleutés et biseautés.

Hamada fait des miracles avec ses deux mains. Il leur a même donné un nom chacune, H & M, et les présentent souvent avec humour comme ses meilleures amies.

2020 a été une mauvaise année pour les affaires: pandémie, contrats annulés, aéroports fermés, chute de la monnaie nationale, révoltes dans la rue et restrictions sanitaires imposées.

4, 8

Lorsque nous demandons à Hamada/Amanda de nous raconter la journée du 4 août, il répète à plusieurs reprises les chiffres 4 et 8, comme un mantra, pour ensuite nous dire: «Le 4 du 8, c’est une date que je ne pourrai oublier. C’est le jour de ma mort, ou de ma naissance. C’est le jour de ma résurrection. C’est comme un rêve, un cauchemar. Un cauchemar qui va me suivre jusqu’à la fin des temps.

Mon dernier contrat était à Ryad et datait déjà de quelques mois. J’étais blasé par la situation économique et l’impossibilité de travailler.

Le matin du 4 août, Dory, mon associé et grand ami, me demande de le retrouver au plus vite au bureau. Nous avons reçu une offre pour élaborer un nouveau concept de design pour un centre à Dubai. Premier contrat depuis longtemps. Cette nouvelle proposition est le plus beau cadeau de fête : le lendemain, le 5 août, c’est son anniversaire. Et nous comptons fêter!

On se retrouve, on se félicite, on met de la musique et on commence à faire le ménage. On est heureux et confiants.

Midi, heure du lunch. On se fait livrer les meilleurs plats du meilleur restaurant en ville.

En début de soirée, une grande détonation remplit le ciel de Beyrouth. Ce n’est rien pour nous inquiéter. Un incendie quelque part, le mur du son peut-être. Peu importe, ce n’est pas le temps de s’affoler de ce qui se passe ailleurs, c’est le temps de célébrer ce qui nous arrive.

À la deuxième déflagration, les vitres multicolores, de la façade en trois arches derrière moi, s’effritent et se métamorphosent en projectiles qui me rentrent dans les épaules et dans le dos. Je vole. Les beaux et anciens miroirs de la partie bureau de la maison, épais de 3 ou 4 cm, avec cette magnifique couleur bleutée, me retrouvent en avant, me déchirent le visage et le ventre. Je suis enlacée par les éclats de verre, en une douloureuse étreinte qui ne veut pas desserrer. En ce moment, je n’avais rien à dire à part crier: « ya mama! »

Mais il n’y avait personne au monde qui pouvait m’aider.»

Hamada et Amanda

Hamada et Amanda ont toujours vécu ensemble, dans la même personne, selon les besoins, les envies, les circonstances sociales, logistiques, professionnelles.

Avant l’explosion, c’est Hamada qui protégeait Amanda. Hamada travaillait, avait des contrats lucratifs, achetait pour Amanda les plus beaux vêtements et accessoires. Hamada nous dit : Amanda c’est la Barbie en moi. Hamada a les mains qui savent dessiner, Amanda est l’inspiration.

Après l’explosion, c’est l’inverse. Amanda protège dorénavant Hamada.

Amanda nous explique: «La société confessionnelle que nous avons ici refuse les personnes homosexuelles. Cependant, elle vénère les femmes. Hamada est mort, on le voit bien sur les photos. Il est mort. Alors Amanda lui sauve la vie. Les gens sont sans pitié. Ils jugent les gens sur l’apparence, et ils ont plus d’affection pour les femmes. S’ils voient Amanda, ils vont avoir de la compassion, ils vont l’aider. Ils aiment les femmes. S’ils voient Hamada, c’est immédiatement le refus de comprendre.»

Je suis 100 000 blessures

«Évidemment, j’ai perdu ma santé. J’avais un éclat de verre dans l’œil, que j’ai dû enlever moi-même aux urgences de l’hôpital, car personne n’avait le temps de s’occuper de moi. J’ai encore des éclats de verre dans mon corps qui à la longue peuvent devenir cancérigènes. J’ai surtout perdu l’usage de mes mains. Je pense souvent au suicide, j’ai essayé 3 fois. C’est insupportable d’avoir toute sa conscience tout en étant incapable de gérer son corps. Cette main qui m’a donné ma carrière, ma réputation, ne peut même plus me donner à boire, j’ai pensé parfois la couper. La couper parce qu’elle me fait mal peut-être, mais aussi parce que je lui en veux, parce qu’elle refuse de m’aider.

Encore plus difficile, il y a cet autre aspect terrible: la famille.

L’explosion a causé beaucoup de dommages collatéraux. Comme un château de cartes qui s’effondre, le château de cartes de ma vie a sauté en l’air avec le port de Beyrouth. Mon passé, mes accomplissements, tout ce j’ai bâti, pas seulement en bien matériel, mais aussi en amitié, en carrière, en liens familiaux, tout s’effrite.

La famille et les amis ne peuvent plus supporter qui je suis car je ne suis plus une source de revenu ni de cadeaux. On «tolérait» ma différence car j’avais de l’argent.»

À propos des mains de Hamada

«J’avoue que de toutes les douleurs que j’ai ressenties dans mon corps, les douleurs de mes mains étaient les plus insupportables. Ce sont elles qui m’ont donné Hamada, ma carrière – et quand je pense combien elles ont souffert, je ressens une double souffrance, car ce sont mes meilleures amies. J’espère qu’un jour, mes mains pourront se serrer l’une l’autre, et que je puisse travailler de nouveau. C’est tout ce que je veux.»

Hamada/Amanda aux politiciens libanais

« Elle signifie quoi la sécurité sociale dans ce pays ? Je ne demandais rien à personne. Je vivais de mon travail, payais des taxes, faisais vivre ma famille et des employés, et vous avez fait sauter le port et toute ma vie.

Cela fait 9 mois maintenant que je suis sans revenu. J’ai vendu tout ce que je possède. Je ne peux pas dormir la nuit, j’ai des éclats de verre dans le corps. Je ne peux plus continuer comme ça, j’ai tout donné. Je suis jugé, tenu responsable et je dois rendre des comptes sur quelque chose que j’ai subi, que je n’ai pas fait.

Qui a fait sauter ma maison? Qui a fait tomber ces murs sur ma tête et fait rentrer les vitres dans mon corps? Je ne suis pas responsable de tout cela.»

La solution

Un chirurgien ophtalmologiste accepte d’opérer Hamada/Amanda bénévolement. Par contre, il n’y a personne pour couvrir les frais minimaux des examens préopératoires. Hamada n’a même pas le budget pour le transport jusqu’à l’hôpital.

«J’ai besoin de faire fonctionner les deux mains et faire soigner les yeux pour que je puisse travailler de nouveau – je m’occuperai de mes cicatrices plus tard. Je peux supporter toute la souffrance et attendre autant qu’il faut, juste redonnez-moi les mains et la vue…

Je pourrais publier une seule photo de moi sur mon compte Instagram, et je vais recevoir immédiatement de l’aide. Mais les clients vont savoir que j’ai une lésion à l’œil, des difficultés à utiliser mes mains, je ne pourrais plus jamais avoir un contrat. J’aurai mis un point final à ma carrière.

Ceux parmi mes clients qui sont au courant que j’ai été victime de l’explosion du port de Beyrouth, pensent que je suis en convalescence, que je suis en physiothérapie, en train de guérir. Mais la vérité est que je suis en train de mourir, pas de guérir. Je ne veux pas perdre ma carrière.»

Les besoins de Hamada/Amanda

6 mois de frais de loyer, transports, nourriture, vêtements: 6 000 CAD
Téléphone portable: 700 CAD
Chirurgie et physiothérapie: 15 000 CAD
Total: 21 700 CAD

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